L’équité
Le croiriez-vous si je vous disais que d’appliquer la même règle pour tout le monde avec un grand souci d’égalité et d’uniformité pouvait être une grande source d’injustice ? Le concept de l’équité va plus loin que celui de l’égalité, pourtant on parle bien plus souvent que ce dernier, peut-être par méconnaissance, mais pas sans conséquence.
L’équité en image
Afin d’illustrer ce concept, j’utiliserai l’a métaphore suivante : imaginez que vous êtes à un évènement sportif, mais qu’une grande clôture vous bloque la vue. La personne à votre gauche est très grande et voit déjà par-dessus la clôture, alors que celle à votre droite est encore plus petite que vous et ne voit rien du tout.
Dans le cas #1 on vous offre une solution égalitaire : tout le monde aura accès à une grosse boîte pour monter dessus ! Le seul hic : le plus grand n’en a pas besoin et pour le petit ce n’est pas suffisant, il ne voit toujours rien… Pourtant, chacun est traité également et reçoit exactement le même support. Est-ce pour autant une solution juste ?
Dans le cas #2 on vous offre une solution équitable : chacun recevra exactement ce dont il a besoin pour être en mesure de voir le match. Ainsi, le plus grand ne recevra rien, celui du centre recevra une boite et le plus petit en recevra 2. Les 3 personnes dans ce contexte ne sont pas traitées également puisque certains en ont reçu plus que les autres. Pourtant cette solution est équitable, puisqu’elle permet à tous de voir le match!
Dans le cas #3 on vous offre de résoudre la cause de l’injustice : on change la clôture opaque en bois pour un grillage de métal. Résultat : tous peuvent voir au travers sans avoir besoin d’aucune accommodation.
Les croyances sous-entendues derrière le cas #1 est que chacun recevra les mêmes bénéfices si on leur donne à tous la même chose. Tandis que la croyance derrière le cas #2 est que chacun a des besoins différents, mais qu’ils peuvent atteindre le même résultat si on répond à ces besoins de façon personnalisée. À première vue, donner à tous la même chose peut paraître plus juste que de donner 2 boites à l’un et aucune à l’autre, mais au final c’est cette option qui réussit réellement à mettre fin aux inégalités entre les 3 personnes.
Quand l’égalité ne suffit plus : l’exemple des enfants à besoins particuliers
Dans cette vidéo créée par deux conseillères pédagogiques en adaptation scolaire, on nous explique comment l’égalité et l’équité sont appliquées dans un contexte éducatif. On y donne la définition suivante pour la notion d’égalité :
« L’égalité c’est le principe qui fait que tous doivent être traités de la même manière, avec la même dignité, qu’ils disposent des mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs »
Cette définition suppose que si tous les élèves ont accès aux mêmes conditions pour apprendre ils auront les mêmes égalités de chance pour réussir. Si cela était vrai, il suffirait d’envoyer tous les enfants à l’école et de leur donner à tous le même enseignement pour qu’ils performent tous également. Or, on se rend bien compte lorsque l’on est en face d’un enfant éprouvant des difficultés d’apprentissage que cela n’est pas vrai puisqu’en adoptant une attitude égalitaire on ne répond pas ses besoins particuliers.
On voit donc que dans certains cas : être égal ne suffit pas. Il faut développer des pratiques équitables. Toujours dans la même vidéo, on donne la définition suivante pour l’équité en contexte éducatif :
« L’équité vise à combler les besoins individuels de chaque élève et de fournir les conditions nécessaires et les mesures d’intervention requises pour l’aider à réussir. »
Il en découle qu’en éducation il n’est pas suffisant d’offrir la même éducation pour tout le monde, il faut aussi s’assurer d’adapter les conditions d’apprentissage et d’évaluation aux besoins des élèves. Les différents acteurs du milieu (enseignants, éducateurs spécialisés, etc.) doivent donc garder cela en tête en permanence et trouver des moyens pour maintenir un équilibre entre les pratiques égalitaires et équitables dans leur milieu scolaire.
L’équité relayée au second plan pendant longtemps au profit de l’égalité
Bien que l’on se rende compte aujourd’hui de l’importance de l’équité, cela n’a pas toujours été le cas. En effet, pendant la majeure partie du 18e et du 19e siècle, c’est l’égalité qui occupera le plus de place dans nos vies, et ce même si le concept de l’équité fut développé dès l’antiquité par le philosophe Aristote[1]. Ceci peut s’expliquer en partie par le fait que lors de la Révolution française, la notion d’égalité a été associée à la notion de justice[2]. Pendant cette période marquée par de grands bouleversements sociaux et politiques, l’Ancien régime fondé sur la monarchie absolue a été remplacé par une société de droit: tous étaient maintenant égaux devant la loi[3]. De plus, cette quête de l’égalité pour tous a aussi été une solide fondation sur laquelle la démocratie s’est construite, de sorte qu’elle fait maintenant partie intégrante de plusieurs aspects de nos vies[4].
Dans le système législatif, l’équité a tout de même fait sa place malgré le fait qu’elle ait souvent eu mauvaise figure. En effet, en Droit il existe le principe d’équité qui permet au juge d’adapter la loi à des cas particuliers ce qui rend la loi plus nuancée, moins simpliste et moins mécanique[5]. Cependant, le caractère subjectif du jugement en équité confère un énorme pouvoir aux juges et a souvent été pointé du doigt puisqu’il ouvre la porte à une application arbitraire[6]. Néanmoins, cette discrimination positive qui permet d’adapter les conséquences d’une Loi plus générale aux circonstances plus spécifiques en respectant la singularité des situations et des personnes (spécificités historiques, socioculturelles liées au passé et cultures individuelles)[7] est un énorme bond en avant vers une société plus juste.
Au niveau politique, l’émergence des politiques équitables est née des limites des mesures égalitaires. Bien que la volonté de départ de l’instauration de la démocratie fût d’établir une égalité des chances pour tous, le constat a été que des mesures égalitaires peuvent entrainer plus d’inégalités… Autrement dit, l’égalité au niveau des droits ne se traduit pas nécessairement par une égalité dans les faits[8]. En solution à cela, les mesures sociales ont fait leur apparition et prennent de plus en plus de place même s’ils ont parfois tendance à être relayées au second plan[9]. Un exemple très commun de politique équitable qui nous est tous familier est celui d’un système d’imposition progressive dans lequel les personnes avec un revenu plus élevé, qui sont plus à même de contribuer davantage, sont imposées à de plus hauts taux que les personnes à faible revenu, qui peines à payer les factures associées à leurs besoins de base. Plusieurs autres exemples de politiques équitables se retrouvent dans cet article : Égalité vs. Équité, tels que les politiques favorables aux femmes, la loi sur les personnes avec un handicap et les politiques de discrimination positive universitaires ou gouvernementales qui garantissent un certain nombre de « sièges » dans des collèges ou des emplois pour des personnes issues de classes sociales historiquement soumises. D’une façon plus générale, on pourrait dire que toutes les mesures sociales qui visent à offrir plus d’aide aux personnes dans le besoin s’inscrivent dans une intention d’un monde plus équitable.
L’égalité et l’équité, deux notions complémentaires d’une société plus juste
Nous avons vu que l’équité est le prolongement de l’égalité dans le sens où elle va plus loin et réussi mieux à pallier aux causes des injustices en répondant aux besoins qui les sous-tendent. Selon Aristote, l’équité est une quête de ce qui est juste et ne peut qu’être défini dans le contexte qui lui est propre.
« Le juste selon la loi n’est pas la forme supérieure de justice. Cette forme supérieure c’est l’équité au sens que l’équité l’adapte aux cas particuliers que la loi n’avait pas prévues. » Aristote
Je vous invite à continuer vos lectures pour en apprendre plus sur l’équité, par exemple en approfondissant la pensée d’Aristote sur l’équité ou en jetant un œil sur comment des entreprises/institutions intègre des notions d’équité dans leur fonctionnement interne comme le fait le HEC avec sa politique interne pour l’équité, la diversité et l’inclusion.
FIN!
Merci d’avoir pris le temps de me lire, j’espère sincèrement que vous en ressortirez grandis, et si c’est le cas partagez abondamment!
RÉFÉRENCES
[1] BORGETTO, M. (2000). Équité, égalité des chances et politique de lutte contre les exclusions. Dans L’égalité des chances. La découverte, coll. « Recherches ».
[2] PLANÈS, H. (2012) Égalité et équité : un regard sur ce débat dans l’histoire de la philosophie. Résumé de conférence. http://www.ac-grenoble.fr/eps1/IMG/pdf/3_Equite_Egalite.pdf
[3] Révolution française. (2021). Dans Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_fran%C3%A7aise
[4] KESLASSY, E. (2016). Démocratie et égalité. Bréal, coll. « Thèmes et Débats » (2e éd.).
[5] PLANÈS, H. (2012) Égalité et équité : un regard sur ce débat dans l’histoire de la philosophie. Résumé de conférence. http://www.ac-grenoble.fr/eps1/IMG/pdf/3_Equite_Egalite.pdf
[6] GUILLON, P.R.P. (2018). L’équité dans la philosophie d’Aristote et le droit. Revista Primus Vitam no 11.
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quit%C3%A9
[8] KESLASSY, E. (2016). Démocratie et égalité. Bréal, coll. « Thèmes et Débats » (2e éd.).
[9] Par exemple, lors des élections fédérales au Canada en 2019, le journal Le devoir publiait cet article : « Les mesures sociales en marge des grands débats ». Source : https://www.ledevoir.com/politique/canada/565072/societe-rares-debats-promesses